Un an après le passage dévastateur du cyclone Chido, Mayotte est devenue le théâtre d’un affrontement inédit entre opérateurs télécoms. Alors que le département, dernier territoire français sans fibre optique, tente de rattraper un retard structurel, deux réseaux concurrents se déploient en parallèle, au risque de fragiliser un projet public stratégique.

Un choc frontal entre réseau public et initiative privée

À Mamoudzou et Koungou, les tranchées se multiplient. D’un côté, Mayotte THD, opérateur retenu par le conseil départemental dans le cadre d’une délégation de service public, promet de raccorder près de 1 900 foyers dès début 2026, avant une montée en puissance jusqu’à 63 000 foyers d’ici 2030. De l’autre, Orange, opérateur historique, affirme avoir déjà connecté ses premiers clients et vise 4 000 foyers raccordables avant la fin de l’année, puis 20 000 supplémentaires en 2026.

Cette coexistence est loin d’être neutre. La densité de population de Mayotte ne permet pas, selon plusieurs experts, la viabilité économique de deux infrastructures concurrentes. Or, le projet public porté par Mayotte THD repose sur un investissement massif de 183 millions d’euros, financé par l’opérateur, l’État, l’Union européenne et le conseil départemental. Son équilibre dépend de la capacité à louer le réseau aux opérateurs commerciaux. Si Orange capte les zones les plus rentables, notamment les centres urbains, la rentabilité du réseau public pourrait être compromise.

C’est précisément ce que redoute l’État. Dans un courrier adressé à la direction d’Orange, le ministre des Outre-mer a dénoncé un « passage en force » susceptible de fragiliser un projet d’intérêt général. Le malaise est d’autant plus marqué que l’État détient près d’un quart du capital de l’opérateur historique. Le groupe réunionnais Océinde, maison mère de Mayotte THD, a saisi l’Arcep et l’Autorité de la concurrence, estimant que le double déploiement met en péril la délégation de service public.

Orange, de son côté, se défend en invoquant l’urgence née du cyclone Chido, qui a fortement endommagé le réseau cuivre ADSL. L’opérateur assure agir pour ne pas laisser ses clients sans accès à Internet et plaide la complémentarité entre les réseaux. Une lecture contestée par les élus locaux, pour qui la priorité reste un aménagement numérique cohérent, équitable et durable sur l’ensemble du territoire.

Au-delà de la rivalité commerciale, cette « guerre de la fibre » révèle une fracture plus profonde : celle d’un territoire ultramarin où les crises climatiques accélèrent des choix structurants, parfois au détriment de la cohérence publique. À Mayotte, l’accès au très haut débit n’est pas seulement un enjeu technologique. C’est une question d’égalité républicaine et de souveraineté numérique.

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