Un verdict judiciaire dit-il jamais la vérité, toute la vérité, rien que la vérité ? Un jugement pénal peut clore un procès, mais il ne dit jamais toute cette vérité humaine. Et dans l’affaire Alex Ursulet, l’acquittement rendu par la Cour pénale de Paris a laissé une large part d’ombre. À la surprise générale, l’avocat martiniquais a été innocenté de lourdes accusations de viols sur mineures. Au terme d’un réquisitoire très dur, le célèbre avocat général Philippe Courroye avait réclamé treize ans de réclusion criminelle, ainsi qu’une incarcération immédiate.
Juridiquement, Ursulet est toujours présumé innocent mais, au moment où nous bouclons, le Parquet vient de faire appel. Il y aura donc un deuxième procès.
Moralement et pénalement, l’affaire est loin d’être refermée. Car pour les témoins présents à l’audience, pour les confrères interrogés, pour les praticiens du droit qui ont croisé sa route, un faisceau d’indices, de comportements et de témoignages inquiétants subsiste. Plusieurs femmes et avocats ont décrit un homme autoritaire, narcissique, volontiers vulgaire, maniant la domination comme un langage et l’intimidation comme un réflexe.
Les juges aurait-il cédé à cette fameuse harangue d’Oswald Baudot, souvent appelée « Harangue à des magistrats qui débutent », texte rédigé en 1968 par le substitut du procureur à Marseille, et membre, évidemment, du Syndicat de la magistrature. Cette harangue se voulait une profession de foi judiciaire engagée, qui invitait les magistrats débutant à adopter une vision sociale et politique de leur rôle plutôt que strictement attachée à appliquer le droit. Peut-être que les juges ont vu en ce monsieur Ursulet un chevalier blanc d’un post-décolonialisme utopique et suicidaire, plutôt qu’un goujat harceleur, qui a tout simplement commis, peut-être, un viol.
Il existe trois catégories d’hommes : ceux qui respectent les femmes, ceux que l’on appelait jadis les goujats et sont aujourd’hui reconnus pour ce qu’ils sont, des harceleurs, et ceux qui franchissent la frontière du crime. Même si la justice a tranché en première instance en faveur de l’innocence d’Ursulet, le malaise demeure, précisément parce que tant d’éléments semblaient dessiner un profil qui n’est ni celui d’un innocent modèle ni celui d’un avocat exemplaire. Le procès en appel sera décisif.
Notons au passage que dans les nombreux procès où des femmes portent plainte contre des agresseurs pour viol ou violences physiques et/ou sexuelles, ces mêmes femmes ont souvent du mal à apporter les preuves de leurs assertions, obligeant les juges soit à s’abstenir de toute condamnation des prévenus, faute de preuves suffisamment établies, ou de choisir entre la parole de l’un contre l’autre, au nom de leur intime conviction. Peut-être Ursulet a-t-il bénéficié de cette zone grise de la justice pénale.
Mais Alex Ursulet n’est pas seulement un goujat voire pire… il est un pénaliste sulfureux. Son passé médiatique et politique ajoute une strate supplémentaire à ce personnage trouble. Défenseur de Guy Georges, le tueur en série qui avait terrorisé la France, Ursulet s’est toujours plu dans les zones grises, celles où l’éthique se heurte à l’ego, où l’avocat se rêve plus important que ses causes. Ses attaques régulières contre l’État, contre les institutions, contre les figures économiques de l’île ont fini par faire de lui un agitateur autant qu’un avocat.
Au fond, Alex Ursulet c’est l’histoire d’un homme qui s’est perdu. Au lieu de mettre son talent, sa formation et ses compétences au service d’engagements clairs et constructifs, il semble s’être laissé entraîner dans des combats trop émotionnels, trop radicaux, jusqu’à attiser le conflit et le clivage. Le procès qu’il traverse, lui le pénaliste habitué à défendre ses clients, ajoute encore à cette mauvaise image, tant il a laissé un malaise évident dans l’opinion. C’est d’autant plus regrettable qu’il aurait pu être un exemple pour la Martinique et pour les jeunes, à l’image d’un Camille Darsières, avocat solide dans ses convictions mais jamais dans la provocation ni dans la haine.
Cette dérive, Alfred Marie-Jeanne l’a d’ailleurs sanctionnée avec une brutalité révélatrice. L’ancien président de la Collectivité Territoriale de Martinique a révoqué son avocat du jour au lendemain après les déclarations ahurissantes de ce dernier à Paris dans l’affaire Green Parrot. Quand Ursulet explique devant une cour correctionnelle qu’il « ne sait pas où est son client », qu’il n’a « aucun contact avec lui », qu’il demande un délai faute d’expertise… il signe lui-même l’acte de défiance. Marie-Jeanne lui répondra immédiatement, noir sur blanc : « Je ne peux plus vous accorder ma confiance. » À ce niveau de responsabilité, une telle rupture est rarement anodine : elle dit quelque chose d’un homme qui, au-delà de ses affaires judiciaires, semble avoir perdu toute boussole professionnelle.
Et pendant que la justice tranchait dans son dossier pénal, une autre procédure le menace : celle qui l’oppose au groupe GBH pour diffamation. Là encore, lors d’une conférence de presse donnée à la Maison des syndicats, Ursulet s’est posé en martyr d’une « submersion coloniale ». Allons donc ! À ses côtés, des figures du militantisme indépendantiste sont venues soutenir un discours où l’outrance rivalise avec la victimisation. Mais les faits sont têtus : ce procès sera peut-être moins celui du « colonialisme économique » que celui d’un avocat habitué à dépasser les limites du droit au nom d’un combat identitaire devenu obsessionnel.
Décidément, Alex Ursulet est un personnage inquiétant, dont les excès, les ruptures et les provocations dessinent un profil qui va bien au-delà du simple pénaliste sulfureux. L’histoire dira si les prochaines étapes judiciaires éclaireront enfin ce que le premier jugement a laissé dans l’ombre.



