Un an après son déploiement à grande échelle, le Plan Lecture lancé en Guyane commence à produire des effets mesurables. Dans un territoire marqué par un taux d’illettrisme quatre fois supérieur à la moyenne nationale, les progrès observés constituent un signal positif, même si la route reste longue pour atteindre les standards du reste du pays.
Une stratégie recentrée sur les méthodes syllabiques et la rigueur pédagogique
Mesure phare du rectorat, la dotation en manuels structurés à 9 571 élèves de CP a marqué un changement de paradigme. Deux méthodes ont été retenues — Néo et Lire au CP avec Fil et Lulu — toutes deux fondées sur une approche phonique et graphémique cohérente avec les recommandations nationales. Après des années de pratiques plus hétérogènes, voire inefficaces, ce retour assumé à des méthodes scientifiquement éprouvées constitue enfin une base solide pour les enseignants.
Cette distribution massive s’est accompagnée d’un plan de formation intensif sur deux ans, afin de garantir une homogénéité des pratiques. Inspectrices, conseillers pédagogiques et maîtres formateurs ont été mobilisés pour ancrer durablement les mêmes repères et les mêmes exigences dans toutes les classes de CP.
Les élèves sont par ailleurs évalués trois fois par an, pour mesurer précisément deux indicateurs clés : la fluence (lecture à voix haute) et la compréhension. Entre 2024 et 2025, les progrès sont tangibles : +7 points en lecture-fluence, +4 points en compréhension, une baisse significative du nombre d’élèves en très grande difficulté.
Dix écoles affichent désormais des performances proches des moyennes nationales, tandis que 80 autres montrent une progression notable.
Une amélioration réelle, mais un retard encore important sur le national
Malgré cette dynamique encourageante, les écarts restent considérables. En REP+, seulement 31,6 % des élèves guyanais lisent de manière autonome après un an de CP, contre 54,2 % en moyenne nationale. Les proportions d’enfants lisant des mots ou des textes seuls restent également très en dessous des standards français.
Les obstacles structurels persistent : une assiduité inégale, notamment dans l’Ouest et l’intérieur, un lien fragile avec les familles, souvent éloignées de la lecture, le manque d’exposition au français écrit dans certains environnements où dominent les langues locales, des contextes socio-économiques pesants qui compliquent l’apprentissage. Le rectorat veut désormais renforcer l’environnement culturel du livre : projets en classe, rencontres d’auteurs, valorisation des bibliothèques scolaires.
Soutien notable, le neuroscientifique Stanislas Dehaene, venu constater les premiers effets du Plan Lecture, confirme la pertinence des choix retenus : « On constate 9 % d’élèves en plus qui ne sont plus en situation à risque. Dans un contexte aussi complexe, ce sont des progrès significatifs. » Il rappelle que les méthodes qui associent systématiquement graphèmes et phonèmes restent les plus efficaces pour transformer durablement le cerveau du jeune lecteur.
Un tournant, mais pas encore une victoire
En Guyane, où un adulte sur cinq est en situation d’illettrisme, ces premiers résultats montrent que l’effort paie, à condition d’être constant, cohérent et accompagné. Le Plan Lecture a permis de structurer les pratiques, d’équiper les enseignants et de réduire les disparités entre écoles. Mais pour combler durablement l’écart avec le reste de la France, la Guyane devra poursuivre cette stratégie rigoureuse, renforcer l’assiduité, impliquer davantage les familles et maintenir l’exigence pédagogique.
Une dynamique est enclenchée. Reste désormais à la consolider pour qu’une génération entière puisse enfin accéder à la maîtrise de la lecture, socle indispensable de l’autonomie, de l’intégration et de la citoyenneté.



