Près d’un mois après sa nomination à Matignon, Sébastien Lecornu a dévoilé, dimanche 5 octobre, la composition de son premier gouvernement. Peu de changements dans cette équipe resserrée, malgré la promesse de rupture : Manuel Valls est reconduit au ministère des Outre-mer dont il a la charge depuis décembre 2024.

La continuité privilégiée

Ce choix, attendu par de nombreux élus ultramarins, s’inscrit dans une logique de stabilité. Réunis mardi dernier à l’Élysée autour du président de la République, plusieurs responsables locaux avaient plaidé pour le maintien de l’ancien Premier ministre, estimant que les dossiers en cours nécessitaient un interlocuteur déjà en place.

Le président de la Polynésie française, Moetai Brotherson, l’avait résumé ainsi : « Les situations sont compliquées de Mayotte à la Guyane, les Antilles, en Nouvelle-Calédonie. Ce n’est pas le bon moment pour changer d’interlocuteur. »

Des chantiers sensibles à poursuivre

Manuel Valls reprend ainsi plusieurs dossiers qu’il avait lui-même lancés : la mise en œuvre de l’accord de Bougival sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, la loi sur la vie chère présentée en juillet, la poursuite de la reconstruction de Mayotte après le cyclone Chido, ou encore le déploiement du futur Plan logement Outre-mer.

Mais sa “loi sur la vie chère”, présentée en juillet, reste l’un des points les plus contestés de son action. En misant sur le contrôle des prix et de nouvelles contraintes administratives plutôt que sur la liberté d’entreprendre et la concurrence, le ministre a manqué sa cible. Plutôt qu’un allègement fiscal ou une stimulation de la production locale, cette loi a figé les blocages économiques et aggravé le fossé entre Paris et les réalités du terrain.

La première journée de la tournée du ministre en Martinique en mars 2025, largement consacrée à la vie chère, avait illustré les limites de cette approche. Manuel Valls avait voulu « poser les bases d’une relation nouvelle, fondée sur la considération et la valorisation », mais ses mesures peinent à convaincre. L’accord sur la vie chère, signé le 16 octobre 2024 sous la pression d’un mouvement social d’une rare intensité, ne concerne qu’une part réduite des produits de grande consommation (moins de 15 % des dépenses des ménages). En pratique, l’impact sur le pouvoir d’achat des Martiniquais ne dépasserait pas 1 %, un résultat dérisoire au regard des attentes et des tensions sociales.

Plus grave, de nombreux acteurs économiques redoutent un effet boomerang : à force de régulation et de suspicion envers les entreprises locales, la loi pourrait décourager l’investissement et provoquer un désengagement durable des acteurs privés, comme après les mouvements sociaux de 2009. Loin d’apporter une réponse structurelle, le texte risque de nourrir la méfiance entre l’État et le tissu productif, déjà fragilisé par des coûts logistiques élevés et un environnement fiscal complexe.

Pour nombre d’observateurs, la lutte contre la vie chère ne peut se réduire à des mesures de contrôle. Elle suppose une politique ambitieuse de croissance, de défiscalisation et de développement local. Plusieurs élus et entrepreneurs plaident désormais pour une « grande loi de simplification et de libération économiques des Outre-mer », qui s’appuierait sur la défiscalisation, la réforme de l’octroi de mer et la création de zones franches globales afin de relancer durablement l’emploi et le pouvoir d’achat.

Un portefeuille clé dans un contexte tendu

Le ministre devra également participer aux groupes de travail annoncés par Emmanuel Macron sur les évolutions statutaires aux Antilles et en Guyane, ainsi qu’à la préparation du budget 2026, alors que plusieurs élus dénoncent déjà des coupes dans les dispositifs fiscaux ultramarins.

À la tête d’un ministère redevenu d’État sous le gouvernement Bayrou, Manuel Valls occupe désormais la troisième position protocolaire du gouvernement. Son maintien traduit la volonté de l’exécutif de ne pas interrompre les échanges avec les territoires ultramarins à un moment jugé délicat : relance économique, tension sociale à Mayotte, incertitude politique en Nouvelle-Calédonie.

Pour Sébastien Lecornu, il s’agit de garantir la cohérence de l’action publique dans ces territoires tout en donnant un cap au nouveau gouvernement : « servir la France et lui donner un budget avant le 31 décembre ». Mais sur le terrain, les Ultramarins attendent désormais moins de discours et plus d’actes. Et surtout, une véritable vision économique capable de leur redonner confiance et pouvoir d’achat, au-delà des rustines et des slogans.

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