La lutte contre l’orpaillage clandestin en Guyane est rattrapée par le soupçon de corruption. L’ancien chef de la brigade de gendarmerie de Cacao, dans la commune de Roura, l’adjudant-chef Salvador Torralba, est visé par une enquête pour corruption passive. Il a été suspendu de ses fonctions, tandis que la procédure, dépaysée à Fort-de-France, est désormais suivie par le procureur de la République de Martinique pour garantir la neutralité de l’instruction.

Un commandant de brigade au cœur du dispositif anti-garimpeiros

À Cacao, la rumeur circulait depuis des mois sur des dysfonctionnements au sein de la brigade. Elle s’est confirmée lorsque le commandant et son adjoint ont été placés en garde à vue en juillet, en même temps qu’un piroguier du service, également habitant du village. Le contexte est particulièrement sensible : la brigade de Cacao est en première ligne dans la destruction de sites illégaux et la saisie de carburant, de pirogues, de nourriture, d’outils ou de munitions destinés aux garimpeiros. Les soupçons portent sur de possibles dons, avantages ou informations transmis à des orpailleurs clandestins en échange de services, voire de renseignements sur des opérations à venir. À ce stade, le parquet reste discret sur le détail des faits, et l’adjudant-chef Torralba, qui n’a pas répondu aux sollicititations, demeure présumé innocent.

La gendarmerie a confirmé avoir été alertée de faits « potentiellement répréhensibles » au sein de la brigade. Une enquête judiciaire et une enquête administrative ont été ouvertes. Compte tenu de la gravité des soupçons, le commandant de brigade a été suspendu, un nouveau chef ayant été nommé en septembre pour assurer la continuité du commandement sur le secteur Roura–Cacao. La hiérarchie insiste sur son attachement à l’exemplarité individuelle et institutionnelle. Le piroguier mis en cause indique pour sa part avoir été suspendu quatre mois, se disant « déçu de la gendarmerie » après huit années passées à lutter contre les orpailleurs. Aucune précision n’a en revanche été donnée sur la situation exacte de l’adjoint du commandant.

Un test de crédibilité pour la lutte contre l’orpaillage illégal

Cette affaire tombe au plus mauvais moment pour l’État français en Guyane. Selon les travaux récents menés pour une ONG internationale, plusieurs milliers de garimpeiros opèrent illégalement sur le territoire, produisant plusieurs tonnes d’or par an qui quittent clandestinement la Guyane par des circuits structurés, principalement via le Suriname et le Brésil. Face à ces réseaux, l’engagement des forces armées et de la gendarmerie est censé incarner la présence et l’autorité de la France dans l’intérieur. Le moindre soupçon de collusion fragilise ce dispositif, nourrit la défiance des habitants et alimente le discours de ceux qui présentent la puissance publique comme impuissante ou complice.

Si les faits de corruption passive étaient confirmés, ils constitueraient un coup très dur pour l’image de l’institution, mais aussi un sérieux renfort pour les groupes criminels qui tirent déjà profit de la porosité des frontières et de la spéculation autour de l’or. À l’inverse, une enquête menée jusqu’au bout, avec des sanctions exemplaires en cas de culpabilité, serait un signal indispensable : la République ne tolère pas que ceux chargés de défendre la loi se mettent au service de l’économie parallèle.

Dans une Guyane déjà fragilisée par l’orpaillage clandestin, la violence environnementale et l’insécurité, cette affaire rappelle enfin que la première condition d’une lutte efficace reste l’intégrité des hommes et des femmes de terrain. Sans confiance dans l’uniforme, aucune reconquête durable du territoire n’est possible.

Privacy Preference Center