La commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’accès à la justice en Outre-mer vient de rendre un rapport massif de plus de 350 pages qui dresse un constat sans détour : pour des millions de Français ultramarins, l’égalité devant la loi reste largement théorique. Créée en juin 2025, présidée par le député Frantz Gumbs (majorité présidentielle, Saint-Martin et Saint-Barthélemy) et rapportée par le député guyanais Davy Rimane (Gauche démocrate et républicaine), la commission dénonce un service public de la justice en situation de sous-administration chronique, avec des territoires entiers relégués à la marge de la République. Derrière les grands discours, l’accès au droit et à un juge reste, dans bien des îles et régions, un parcours d’obstacles indigne d’un État de droit.
Déserts juridiques et immobilisme de l’État
Le rapport ne se contente pas de généralités. Il décrit des réalités concrètes, parfois brutales. Wallis-et-Futuna est qualifié de véritable désert juridique, sans barreau, sans notaire, sans huissier de justice, où des citoyens défenseurs improvisés et des gendarmes faisant office d’huissiers remplacent des professionnels du droit. À Saint-Pierre-et-Miquelon, un ressort minuscule fonctionne avec une justice minimale, qui interroge le respect des standards constitutionnels. En Guyane intérieure, dans la brousse calédonienne, dans les archipels éloignés de Polynésie ou à Mayotte, des habitants renoncent purement et simplement à faire valoir leurs droits, faute de moyens pour se déplacer, faute d’avocats à proximité, faute de structures d’accueil dignes de ce nom.
La commission pointe aussi un immobilier judiciaire souvent vétuste, dégradé, voire gravement endommagé comme à Mayotte après le cyclone Chido, où les tribunaux judiciaire et administratif fonctionnent avec des rustines provisoires. Elle note que certains projets de cités judiciaires ont été lancés puis brutalement gelés pour des raisons budgétaires en Martinique, Guadeloupe, La Réunion et à Mayotte. Là où quelques chantiers ont abouti, comme à Saint-Martin, Cayenne ou Saint-Laurent-du-Maroni, ils restent l’exception, non la règle. À cela s’ajoutent des organisations absurdes, comme des tribunaux administratifs ou des cours d’appel situés à des milliers de kilomètres des justiciables, ou des juridictions sans magistrats résidents.
Face à ce tableau, la commission appelle à des réponses structurelles et non plus à des coups de communication dictés par les crises. Elle prône la création d’un tribunal judiciaire de plein exercice à Saint-Martin, compétent aussi pour Saint-Barthélemy, la mise en place d’une cour administrative d’appel pour les Antilles et la Guyane, ainsi qu’une véritable cour d’appel et un tribunal administratif permanent à Mayotte. Elle insiste sur la nécessité de renforcer l’attractivité des juridictions ultramarines, d’améliorer la formation des magistrats et greffiers envoyés Outre-mer, et d’augmenter durablement les moyens consacrés à l’accès au droit, notamment via les conseils de l’accès au droit et les dispositifs itinérants.
Ce rapport doit conduire à un sursaut de l’État, loin des surenchères indépendantistes et victimaires, pour que la justice, colonne vertébrale de notre démocratie, soit enfin rendue partout avec les mêmes exigences, les mêmes moyens et la même dignité, de Paris à Mayotte, de la Guyane à Wallis-et-Futuna.



