L’affaire des six kwatas envoyés fin novembre du centre de soins du Zoo de Guyane vers le parc zoologique de Beauval a déclenché un torrent d’accusations. Plusieurs associations, dont Futur Asso et JungleVet, dénoncent un « braconnage déguisé », affirmant que des animaux sauvages auraient été soustraits à la nature pour alimenter des circuits zoologiques lucratifs. Les acteurs mis en cause contestent fermement. Au cœur de la controverse : l’absence criante, en Guyane, d’un cadre rigoureux pour la réhabilitation et la réintroduction des primates.

Entre accusations militantes et réalité du terrain

Les associations pointent du doigt la proximité entre le centre de soins SOS Faune Sauvage et le Zoo de Guyane, estimant que certains animaux seraient déclarés trop imprégnés pour être relâchés et finiraient systématiquement dans des parcs zoologiques. Elles citent aussi des précédents : d’autres jardins zoologiques des Antilles, comme ceux de Guadeloupe et Martinique, ont déjà reçu des atèles issus de Guyane. Pour Futur Asso, le schéma serait clair : des centres de soins liés à des zoos seraient tentés de qualifier trop rapidement certains animaux comme « non relâchables », ce qui reviendrait, selon eux, à contourner l’interdiction du prélèvement d’espèces protégées.

Une version balayée par les professionnels du Zoo de Guyane. Le nouveau directeur, Lilian Girou, rappelle que ces six kwatas étaient tous des orphelins saisis après des actes de chasse illégale : « Ce sont des rebuts de chasse. Nous ne capturons jamais d’animaux en forêt. Ils nous arrivent bébés, traumatisés, et nécessitent des années de soin. » Il insiste sur un point central : la Guyane ne dispose pas, aujourd’hui, d’un protocole validé de réintroduction pour les atèles, espèce très sensible à la prédation, aux dérives humaines… et à la chasse.

Une réintroduction possible ? Le débat scientifique divise

Le centre JungleVet affirme pouvoir offrir une alternative et mener des réhabilitations en milieu semi-naturel, mais ne cache pas des échecs : « Tout n’est pas rose. Mais au moins on leur laisse une chance », plaide son fondateur.

Mais l’éthologue du Zoo de Guyane, Margo Traimond, nuance fortement : aucun protocole complet de formation anti-prédateurs n’existe ; aucun suivi post-relâché n’est actuellement assuré en Guyane ; certains individus relâchés ont déjà été recapturés ou se sont dangereusement rapprochés des zones habitées.

Selon elle, la Guyane souffre d’un vide scientifique : « Pour ces primates, il n’existe pas de programme sérieux, validé par les standards internationaux. Nous essayons, mais nous n’y sommes pas encore ».

Le transfert à Beauval vise, au contraire, à intégrer les six atèles dans un programme génétique européen (EEP) destiné à sécuriser la survie de l’espèce, classée vulnérable. À ce jour, aucune infraction n’a été relevée par les autorités françaises. Le transfert s’est effectué sous escorte de la gendarmerie, conformément aux règles CITES et aux autorisations préfectorales.

Une polémique révélatrice des limites actuelles

Au-delà des accusations, l’affaire met en lumière un problème beaucoup plus profond : l’absence d’une véritable politique publique de réintroduction en Guyane pour les primates victimes du braconnage. Chaque année, des dizaines d’animaux arrivent orphelins dans les centres de soin. Que faire lorsqu’ils sont trop imprégnés pour survivre seuls ? Les relâcher sans suivi les expose à la chasse. Les garder éternellement en centre de soins est impossible. Les envoyer dans des programmes de conservation ex-situ peut être vécu comme une trahison par certains militants.

Mais c’est un fait, le territoire n’a ni les infrastructures, ni les budgets, ni les équipes suffisantes pour suivre scientifiquement des réintroductions complexes. Et dans ce vide, la polémique prospère. Derrière les slogans accusateurs relayés sur les réseaux sociaux, la Guyane paie une nouvelle fois le prix de l’abandon de l’État dans le domaine environnemental : pas de programme officiel de réintroduction, pas de financement dédié, pas de stratégie territoriale coordonnée. Les centres de soins, eux, improvisent tant bien que mal.

Classé vulnérable, l’atèle à face rouge est frappé par deux menaces : la déforestation et la chasse illégale, notamment en zones isolées. Les six kwatas transférés ne sont pas des animaux capturés en forêt, mais des orphelins récupérés par l’État après des actes de braconnage. Leur transfert, encadré et légal, ne règle évidemment pas le problème de fond : l’insécurité environnementale en Guyane, laissée trop souvent à la bonne volonté des associations.

Dans un territoire français où la biodiversité est la plus riche du pays, mais aussi l’une des plus menacées, l’idée que la France soit capable d’assurer seule la conservation in situ de ses espèces emblématiques reste malheureusement loin de la réalité. En attendant la mise en place d’un vrai programme scientifique, le dossier des kwatas illustre une évidence : la Guyane a besoin d’outils, de moyens et d’un pilotage clair pour préserver sa faune, faute de quoi les polémiques continueront d’éclore, nourries par l’émotion plus que par les faits.

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