La proposition de loi déposée par la sénatrice Annick Billon marque un virage décisif dans la lutte contre les violences sexuelles faites aux mineurs : rendre imprescriptibles les viols et agressions incestueuses. Dans un pays où 160 000 enfants subissent chaque année de telles violences, et où moins de 1 % des plaintes aboutissent à une condamnation, il ne s’agit plus d’un simple ajustement juridique, mais bien d’un sursaut moral attendu depuis longtemps. La France rejoindrait ainsi d’autres démocraties européennes qui ont déjà reconnu que le temps ne doit jamais protéger les bourreaux.
Cette réforme répond à une réalité trop longtemps ignorée : dans un cas sur deux, les victimes vivent une amnésie traumatique, ne retrouvant leurs souvenirs qu’à l’âge adulte. Leur opposer la prescription, c’est faire primer le confort des criminels sur la dignité des enfants. Le texte prévoit également un progrès majeur : la création d’un crime spécifique d’inceste dans le Code pénal, enfin traité comme une infraction autonome, à la hauteur de son caractère destructeur pour la famille comme pour la société. L’intégration des cousins germains dans cette définition va dans le même sens : fermer une brèche qui profitait à 20 % des agresseurs.
Les opposants invoquent l’affaiblissement des preuves avec le temps. Mais la justice française sait déjà juger des crimes anciens – l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité en témoigne. La question n’est donc pas juridique, mais éthique : accepte-t-on que la parole des victimes soit étouffée au nom d’un calendrier ? En Outre-mer comme dans l’Hexagone, les territoires français sont confrontés à une réalité identique : ces violences détruisent des générations entières et rongent le lien social. Il appartient à la République de protéger les enfants, tous les enfants, sur tout son territoire.
Avec cette proposition de loi, la France a l’occasion de poser un principe clair, fort, républicain : on ne prescrit pas l’inacceptable. Et la société toute entière gagnera à ce que la justice cesse de tourner le dos à ceux qui ont été trahis dans le lieu qui aurait dû être le plus sûr : leur propre famille.



