Depuis début août, les colonnes de fumée s’accumulent au-dessus de Mayotte, noircissant l’horizon de Combani à Sada. En un mois, 60 hectares de végétation ont déjà brûlé. Tout juste nommé directeur du SDIS, le colonel Patrick Clerc se retrouve plongé dans une saison des feux d’une intensité inédite, alimentée par une pratique toujours interdite mais omniprésente : le brûlis.

Dans 95 % des cas, les incendies naissent de ces mises à feu agricoles censées nettoyer les parcelles. Mais cette fois, le cocktail est explosif : sécheresse, vents puissants et un tapis de bois mort laissé par le cyclone Chido. Résultat, chaque étincelle s’emballe. Les chiffres donnent l’ampleur : trente hectares partis en fumée à Combani début août, dix à Ouangani, sept à Sada, d’autres encore à Bandrélé. L’Observatoire des forêts rappelle que l’île ne comptait que 13 890 hectares de couvert forestier avant le cyclone. Chaque hectare perdu est une plaie ouverte pour la biodiversité et le cycle de l’eau.

Les pompiers, eux, luttent avec des moyens contraints. À peine 80 hommes de garde chaque jour pour couvrir tout le territoire, dont 85 % du temps absorbés par les secours aux personnes. Quarante ont dû être mobilisés pour les incendies récents, au prix d’équilibres fragiles. Les interventions sont un parcours du combattant : terrains escarpés, broussailles, bambous titanesques. Il faut parfois marcher plus d’une heure pour atteindre le début des flammes. Et l’absence de moyens aériens complique tout : pas de Canadair adaptés, aucune piste d’accueil. Le recours à un hélicoptère équipé d’un bambi bucket reste une hypothèse encore à l’étude.

Comme si cela ne suffisait pas, la crise de l’eau paralyse aussi la lutte. À Mayotte, l’eau courante n’arrive qu’un jour sur trois, l’usine de dessalement de Petite-Terre étant en panne depuis fin août. Le colonel se veut rassurant en affirmant que les camions disposent de réserves de 2 500 à 6 000 litres, mais chacun sait que la ressource reste précaire.

La vérité, martèle Patrick Clerc, c’est que la réponse ne peut pas être seulement technique. Tant que les brûlis continueront, le SDIS ne fera que courir derrière le feu. Les habitants doivent comprendre que ces pratiques, devenues impossibles à maîtriser dans les conditions actuelles, mettent en péril leur propre environnement.

Mayotte vit ainsi un avertissement brûlant : sans prise de conscience collective et sans renforts conséquents, ses forêts, sa biodiversité et ses habitants paieront le prix fort d’une tradition qui s’est transformée en bombe écologique. Ici, chaque flamme n’est pas qu’un accident : c’est le symptôme d’une île sous tension, coincée entre la sécheresse, la crise de l’eau et une fragilité environnementale qui s’aggrave d’année en année.


Patrice Clech

Journaliste et analyste, il consacre ses travaux aux dynamiques politiques, sociales et culturelles des Outre-mer, qu’il explore avec rigueur et passion.

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