Sa nomination comme Premier ministre réveille de vieux souvenirs à Nouméa. Entre 2020 et 2022, Sébastien Lecornu, alors ministre des outre-mer, avait choisi une méthode directe pour relancer le dialogue calédonien. Applaudi par les non-indépendantistes, il avait en revanche cristallisé la colère du FLNKS, accusé d’avoir brisé la neutralité de l’État et imposé son calendrier.
Arrivé rue Oudinot en pleine crise du Covid, Lecornu s’était illustré dès l’automne 2020 en organisant le « groupe Leprédour », huis clos inédit censé remplacer le rigide Comité des signataires. L’initiative avait séduit au départ, mais l’affaire de l’usine du Sud puis le refus d’une partie des indépendantistes avaient rapidement grippé la mécanique. À partir de là, la défiance n’a cessé de croître.
Le ministre voulait un « nouveau statut » pour la Nouvelle-Calédonie, qu’il s’agisse d’un accord de transition vers l’indépendance ou d’un autre cadre en cas de maintien dans la République. Mais son document préparant les scénarios post-référendum, dévoilé à Paris en mai 2021, fut qualifié de « manifeste de propagande pour le Non » par le FLNKS. L’accusation de partialité s’installe alors durablement.
Surtout, Lecornu s’est arc-bouté sur la tenue du troisième référendum au 12 décembre 2021, malgré les demandes de report après la vague de Covid qui a frappé la communauté kanak. « En démocratie, on ne change pas la date des élections », avait-il asséné. Résultat : un scrutin marqué par le boycott indépendantiste, une victoire du Non à 96,5 %, mais aucune légitimité aux yeux des partisans de la souveraineté. Pour eux, le ministre a orchestré un passage en force qui a fermé la porte au dialogue.
Dans le même temps, il resserrait ses liens avec Sonia Backès, figure des non-indépendantistes, qui finit par rallier Emmanuel Macron et entrer au gouvernement en 2022. Une proximité vécue comme une trahison par le FLNKS, convaincu que Paris avait définitivement choisi son camp.
Depuis, Lecornu avait pris ses distances, nommé ministre des Armées. Mais chaque retour en Nouvelle-Calédonie a ravivé les rancunes. En mai 2024, il avait accompagné Emmanuel Macron après les émeutes : les indépendantistes avaient refusé de le rencontrer, tout comme Gérald Darmanin.
Désormais installé à Matignon, Lecornu hérite d’un passif lourd sur le Caillou. Sa nomination est saluée par les loyalistes comme un gage de fermeté et de continuité. Mais pour les indépendantistes, c’est un « signal terrible », le rappel d’un ministre perçu comme clivant et partial. Reste à savoir si son successeur rue Oudinot saura retisser des liens ou si le souvenir de Lecornu pèsera encore longtemps sur toute tentative de compromis.
Patrice Clech
Journaliste et analyste, il consacre ses travaux aux dynamiques politiques, sociales et culturelles des Outre-mer, qu’il explore avec rigueur et passion.